Comment convaincre

Nous utilisons le processus « convaincre » quand nous savons que la partie adverse a le pouvoir de refuser. On exclura donc les situations de pouvoir déséquilibré ainsi que les manquements au droit qui peuvent se régler rapidement. Nous admettrons donc que nous sommes face à une situation de résistance.

Nous passons nos journées à tenter d’obtenir des accords auprès de personnes qui s’y opposent. Si l’accord est pris, il est souvent pauvre et dégradé en termes de coûts/qualité/délais. Nous allons aborder une méthode permettant d’obtenir un accord dit « raisonné ».

J’ai toujours été étonné durant mes cours que l’écoute était maximale lorsque l’on abordait le catalogue des ruses et des manipulations classiques que l’on rencontre en négociation. C’est une idée très répandue que l’essentiel est d’emporter l’accord de l’autre partie, les méthodes employées plus ou moins éthiques étant secondaires. La révolution apportée par la négociation raisonnée de Harvard (Fisher et Ury) a été de porter une attention particulière au « comment » en remarquant qu’un accord cherchant à optimiser vos gains mais également ceux de l’autre partie peut vous apporter beaucoup plus, sera durable et préparera l'avenir.

La manipulation est couramment enseignée dans les séminaires de vente. On fait souvent appel à la PNL (programmation neurolinguistique) qui est effectivement une méthode puissante pour convaincre.

Si elle est utilisée par des personnes sans éthique, elle est dangereuse pour vous. Elle utilise des méthodes hypnotiques comme la méthode des « oui récurrents » (vous faire dire plusieurs fois oui sur des évidences ou des points mineurs pour obtenir à la suite un oui majeur). On doit bien-sûr connaître ces méthodes non pour les utiliser mais pour les détecter, éviter la manipulation et également calibrer l’autre partie.

Alors comment convaincre proprement ?

  1. Objectifs et intérêts

    Notre pensée est souvent envahie d’objectifs chiffrés qui nous amènent généralement sur le processus de marchandage. La méthode raisonnée propose d’oublier ces objectifs pour nous centrer sur ce qui les génère, nos intérêts profonds (ce qui importe vraiment pour nous).

    Par exemple, j’estime mériter 20 % d’augmentation de salaire. Peut-être vais-je les obtenir à la suite d’un bras de fer avec ma Direction au détriment de mes intérêts (j’ai créé un mauvais relationnel avec ma Direction, je dois assumer de nouvelles responsabilités avec beaucoup de déplacements à l’étranger alors que ma famille se plaint de ne jamais me voir etc.…). L’objectif de 20% a bien masqué mes intérêts.

    De façon symétrique, je dois enfiler les souliers de l’autre pour imaginer ses intérêts. Dans un second temps je dois hiérarchiser ces tables d’intérêts (depuis le plus vers le moins important). Nous verrons leur usage plus loin.

  2. Critères

    Lorsque l’on veut convaincre que ses demandes sont justifiées, il faut apporter des preuves. Ces preuves sont le bon positionnement de mes revendications replacées dans des échelles de critères. Par exemple, je suis acheteur dans une centrale d’achat et je trouve que les 3 millions de roses de la Saint-Valentin que je viens de réceptionner sont trop avancées pour tenir mon engagement client de tenue de 8 jours en appartement. Le critère utilisé sera la mesure en mm du décollement du pétale le plus extrême effectué sur un prélèvement de roses.

    L’horticulteur va bien sûr m’opposer ses propres critères (un relevé de température montrant les conditions extrêmes qu’il a subies, son compte d’exploitation qui l’amènerait à déposer son bilan en cas de refus…). La discussion va donc porter sur les critères à retenir pour chercher ensuite un accord. C’est une négociation préalable : on l’appelle la métanégociation. Elle est beaucoup moins conflictuelle que la discussion sur l’objet (refus de livraison) et permet une meilleure créativité. Lorsqu’un critère est accepté de part et d’autre, il est dit objectif.

  3. Options

    C’est la partie la plus agréable de la discussion. Une option est une brique de création de valeur qui apporte plus de valeur à celui qui la reçoit que ce qu’elle coûte à celui qui la propose. Par exemple, l’horticulteur prendra en charge les problèmes consommateur éventuels en offrant des bouquets de rose. Les options ne s’offrent pas, elles s’échangent jusqu’à ce qu’un équilibre apparaisse. Parfois une option trop chère est retirée au profit d’autres à plus de valeur ajoutée. Les options ne sont figées que lorsque l’accord est scellé (pour éviter le grignotage).

    Avant de rencontrer votre interlocuteur vous allez utiliser la table des intérêts hiérarchisée pour imaginer des options. A ce niveau nous faisons une découverte étonnante ; il est beaucoup plus facile de créer un différentiel de valeur s’il existe des intérêts divergents que si tous les intérêts sont identiques. Par exemple l’un a besoin d’argent de suite, l’autre plus tard (cash/investissement)). S’il n’y a pas de décalage dans les intérêts, seules les économies d’échelle peuvent créer de la valeur. Par exemple, en cas de reprise d’entreprise, on distinguera les activités nouvelles (synergie) des activités communes (plan social suite à la mise en commun de moyens).

    On construit donc des options pour satisfaire les intérêts prioritaires en les finançant par des concessions sur les intérêts secondaires. A faire pour soi puis pour l’autre partie. Des hypothèses d’échange peuvent apparaître et être étudiées. Par exemple, comment vendre ma petite entreprise de conseil alors que j’en suis la principale force de travail ? Comment faire en sorte que l’acquéreur puisse se substituer à moi sans qu’aucun client ne quitte l’entreprise ?

    L’option est de travailler ensemble pendant un an et de décider à la fin de cette période. Un filet de sécurité est mis en place pour préserver les intérêts de chacun aussi bien en cas de vente que de séparation sans accord : les deux premiers mois, l’acheteur audite et débriefe après chaque action. Les 4 mois suivants, remplacement sur des séquences précises avec analyse des difficultés rencontrées. Les 2 mois suivant, le vendeur passe totalement en observateur et commente certains détails. Les 4 derniers mois, premiers contrats assurés seuls : une allocation abondera le compte de rachat de l’entreprise pour réduire le coût.
    Résultat : aucun client perdu et de nouveaux gagnés.

    Cela paraît très simple et pourtant, une connaissance a repris une entreprise avec quelques cadres. Le PDG a accepté de rester en place 7 ans pour la passation ! Nous sommes à la sixième année et personne ne se sent prêt à remplacer le PDG : « nous avons été absorbés par l’exploitation courante et personne n’a rien appris de la cohabitation ! ».

  4. BATNA (Best Alternative To Negotiate Agreement)

    La BATNA est ce que ce que vous avez de mieux à faire si votre demande échoue. Un cadre supérieur américain a raconté qu’il a fait toute sa carrière avec sa BATNA dans sa poche (sa lettre de démission). Tout le monde le savait et l’intégrait dans les discussions. Heureusement qu’il n’a pas eu à l’utiliser parce que ça ne pouvait marcher qu’une seule fois !

    L’autre partie en face de vous a aussi une BATNA. Sur le plan mathématique, un accord est théoriquement satisfaisant s’il passe au dessus de chaque BATNA. En fait c’est plus complexe car l’autre peut ne pas avoir construit de BATNA et il devrait alors accepter toute solution proposée. Cela peut parfois se produire : un excellent négociateur dans le domaine informatique bancaire ayant calculé que suite à la faillite d’un prestataire de service, les banques propriétaires de centaines de terminaux bancaires allaient subir des perturbations majeures, a proposé le rachat de ces centaines de terminaux pour …1 franc symbolique. Après de longues tractations, la solution a été acceptée et a apporté pendant plusieurs années un cash énorme à la société qui a repris l’activité. Les banques ont apprécié la continuité d’un service de qualité.

    Il est donc important de se construire une BATNA et de l’améliorer jusqu’à ce que vous puissiez dire : si l’autre est intraitable, je fais cela. Cela m’est arrivé de travailler plusieurs jours avec une direction d’entreprise pour améliorer une BATNA : c’est toujours possible mais ça coûte des moyens. Il faut faire la balance avec l’enjeu (les conséquences de la BATNA de l’autre partie : dans ce cas une grève générale avec occupation des locaux et séquestration de la direction.

    Il est bien-sûr capital de découvrir la BATNA de l’autre puisqu’il faudra lui offrir plus pour le décider. S’il vous expose sa BATNA, c’est soit qu’il est très naïf, soit qu’elle est magnifique, soit qu’elle est inventée. Combien de fois nous a-t-on proposé de voir des « documents confidentiels ». En général, il sont faux, périmés ou incomplets et on ne doit pas en tenir compte. Les méthodes pour évaluer la BATNA adverse sont nombreuses et ne peuvent être détaillées ici. La méthode la plus simple est l’hypothèse d’échange d’options : lorsque vous passez au dessus de la BATNA adverse, l’autre ne peut masquer son intérêt pour cette hypothèse (sauf si c’est un russe qui exprimera vivement son opposition pour cette solution, ce qui montre l’intérêt de bien décoder les cultures).

    En conclusion, la BATNA doit être gardée secrète et jamais exposée, car, si elle est mauvaise, vous n’avez plus aucune chance d’obtenir satisfaction et si elle est très bonne, elle peut amener à la rupture ou à une attaque en règle pour la dévaloriser et vous faire douter!

  5. Communiquer

    Pour convaincre, il faut être un bon communiquant (cela se travaille dans des stages). Savoir préparer des questions à poser, les poser au bon moment, analyser les réponses sur le champ, préparer les réponses aux questions gênantes même s’il est improbable qu’on vous les pose, savoir refuser de répondre à d’autres. J’ai été amené à travailler une journée à la réponse à une question très gênante que l’on pourrait me poser mais très improbable : c’est la première qui m’a été posée…

    Selon la personne en face, vous pourrez utiliser des méthodes douces (reformulation rogérienne) ou dures (questionnement par questions enchaînées). En cours d’entretien vous pouvez alterner les méthodes en fonction des réactions perçues.

  6. Relation

    Vous devez analyser l’historique de votre relation avec la personne que vous voulez convaincre. Si vous avez fait preuve de manque de fiabilité dans le passé, il n’est jamais trop tard pour décider de changer. A l’inverse, si l’autre ne présente aucune fiabilité, est adepte de ruses, est rude ou même brutal, refusez de jouer à ce jeu là. Restez calme et fiable en laissant entendre que vous comprenez très bien les processus qui se déroulent. Une règle absolue : vous ne pouvez pas lui imposer d’être fiable ou raisonné. Il faut le prendre comme il est et lui offrir votre modèle ; Il va vous observer et évoluer.

    En résumé : doux avec la personne pour être dur sur les idées !

  7. Stratégie

    Nous avons tous notre équation personnelle construite depuis notre enfance. On distingue en Négociation Raisonnée quatre types de stratégies internes : le doux efficace, le doux inefficace, le dur efficace, le dur inefficace. On comprend bien que le doux inefficace face au dur risque de se faire dépouiller. Le dur inefficace risque de bloquer la négociation par ses marchandages et ses exigences. Le négociateur raisonné, pour convaincre, devra jouer avec adresse sur les registres doux efficace et dur efficace.

    Pour terminer voici une grille de contrôle qui augmentera vos chances de convaincre :

    • Votre crédibilité : Votre attitude, votre présentation, vos mots, votre syntaxe, vos préoccupations ne doivent pas choquer l’autre. Il doit se sentir en confiance avec vous.
    • Votre cohérence : L’autre va chercher les défauts, les contradictions de votre discours (« mais vous avez dit tout à l’heure… »).
    • Votre consistance : Pouvoir prouver ce que vous affirmez. Ne pas hésiter à apporter des documents.
    • Votre congruence : Ne pas se laisser distraire. Forcer l’autre à rester sur le sujet et développer votre argumentaire. Combien de fois s’est-on séparé en se disant : j’ai oublié de poser cette question, de donner cette importante information.

    Gérard Thomas
    Ancien enseignant de l’Ecole Centrale, du Corps des MINES et d’HEC.

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